Extrait du livre Festival Désir... Désirs, un roseau sauvage, un ouvrage collectif qui dévoile les coulisses du plus ancien festival de cinéma LGBTQI+ de France, créé en 1993 avec les Cinémas Studio à Tours. Pages 36 à 43 rédigées par Rémi Lange.
Tout a commencé en mars 1990 avec la rencontre d’Antoine Parlebas au café Le Café[i]. Cet être unique, cultivé et drôle m’a fait découvrir l’art en général, puis l’art contemporain et le cinéma expérimental. Grâce à lui, j’ai trouvé mon mode d’expression : le journal filmé, une branche du cinéma expérimental déjà explorée par Jonas Mekas[ii], Joseph Morder[iii] et Hervé Guibert[iv] (dont j'étais un grand fan). En 1991 et 1992, en pleine hécatombe du SIDA, j’avais peur de mourir bien plus tôt que prévu, et donc de ne rien laisser de moi après mon bref passage sur terre. Je voulais que mon journal filmé soit une sorte d’autothérapie mais aussi un acte militant généreux : qu’il serve à ouvrir les yeux aux gens intolérants, d’où la volonté de créer un "film-journal-intime-narratif-classique-grand-public" calqué sur les règles d’écriture d’une fiction traditionnelle, accessible au plus grand nombre. Mon militantisme s’exprimait aussi à travers mon engagement culturel et politique au sein du Cinéma National Populaire[v] (CNP), association la plus engagée des Cinémas Studio dont je suis devenu membre au début des années 90 (avant d’y être accueilli comme « objecteur de conscience »[vi] en 1993-94). Avec Guillemette Martin, Solange Calmejane, Emmanuel Régniez (devenu un grand écrivain) et bien d’autres, nous organisions des séances-débats en tous genres. Etant ouvertement gay, même si je n’avais pas encore fait mon coming-out auprès de ma famille, j’élaborais des séances autour de l’homosexualité ou des projections de films expérimentaux (ce qui me permettait de les voir également !). L’un de mes plus beaux souvenirs est d’avoir organisé la venue de Pierre Seel, déporté homosexuel français, une séance-débat qui avait fait salle comble et bouleversé tout le monde. C'était en 1994 ou 1995... C’est aux cinémas Studio que j’ai rencontré Philippe Perol qui est vite devenu un de mes meilleurs amis. Il militait au sein de La Maison Des Homosexualités de Touraine, où j’ai donc également milité. Je ne sais plus comment est née l'idée de créer un festival de films LGBTQI +. Etait-ce le prolongement pour moi de mon action au sein du CNP ?
En 1992, la répression homosexuelle à Tours battait son plein, avec des gens comme le détestable "père-la-pudeur", Jean Royer, mais également certains de ses collaborateur.rice.s… En 1992, j’ai réalisé mon tout premier film qui s’appelle L’Hospitalière, un court qui comparait la situation des personnes atteintes du sida à celle des personnes internées dans les camps de concentration : une vieille dame coud sur le vêtement d’un homo une étoile non pas jaune mais en forme du virus du SIDA. Le film commençait d’ailleurs par une avalanche de citations de personnes qui m’avaient révolté. Il y a bien sûr la fameuse phrase de Le Pen[vii] sur les sidatoriums mais également celle d’une adjointe au maire, Nicole Gautras, qui avait dit à propos d'une soirée gay organisée à Tours : « Je suis contre la distribution gratuite de préservatifs. Pourquoi pas une soirée avec drogués et distribution de drogues ? » Suite à ces propos, j’avais eu envie de réagir en faisant un petit film militant, mais aussi en organisant une manifestation avec les membres du Point Gay de Touraine dont Olivier Drouault (le premier homosexuel ouvertement séropositf que j’avais rencontré)… Créer un festival de films homos dans une ville dirigée par des homophobes notoires m’excitait terriblement !
Juste après le 1er festival qui fut un petit succès, j’ai tourné dès mars 1993 mon premier long métrage, Omelette, avec mes ami.e.s de Tours : on y voit notamment Guillemette Martin dans la cour des Studio, Olivier Drouault chez lui et bien sûr Philippe Perol au café Le Café, où il me parle des origines possibles de l’homosexualité. Après avoir terminé le film en octobre 1993, j’ai bien sûr pensé que le festival Désir… Désirs pouvait être le tremplin pour le faire connaître. Grâce à Olivier Drouault, j’ai rencontré à Tours Jean Le Bitoux, un militant de longue date, cofondateur de Gai Pied, qui à son tour m’a permis de rencontrer l’une des figures majeures du cinéma gay français, Lionel Soukaz[viii]. De plus, Jean m'a conseillé de contacter Alain Burosse, directeur de l'émission L'œil du cyclone sur Canal +, ancien militant du FHAR, qui me fera faire une version courte d'Omelette en 1994, Les anges dans nos campagnes, puis il m'a donné l'adresse du merveilleux Michel Cressole, alors journaliste à Libération. Pour la deuxième édition du festival Désir… Désirs, Michel Cressole a décidé d’enfoncer le clou de notre combat local en rédigeant un article dans les pages "société" de Libération intitulé « 22 films gays à Tours », qu’il terminait en encensant Omelette : « c’est du Rimbaud en Super 8. » Ma joie fut immense : non seulement cela donnait une visibilité énorme à mon film, mais c’était aussi une grosse publicité pour le festival qui ne pouvait se permettre aucune promotion car sans aucune subvention. C’était surtout une bonne « claque dans la gueule » pour ces tenanciers de l'homophobie qui siégeaient à la Mairie de Tours depuis des décennies… Honte à eux, qui ne reconnaissaient pas l’existence d’un festival maintenant reconnu au niveau national !
Voilà pourquoi j’ai tenu à créer le festival avec Philippe : pour lutter contre le retour à l’ordre moral tourangeau, mais aussi pour diffuser des œuvres qui décloisonnent les genres, les formes cinématographiques et les sexualités. Après ces deux premières éditions, j’ai participé à la programmation des films et à l’organisation des deux éditions suivantes, mais de le loin car j’étais accaparé par les premiers pas de mon premier bébé qui ne faisait que grandir, en l’accompagnant dans différents lieux plus ou moins underground d’Europe. J’ai passé le flambeau fin juillet 1996, date à laquelle je suis monté à Paris pour essayer de réaliser mon rêve : devenir un « réalisateur professionnel » et parvenir à une sortie nationale d’Omelette, qui est enfin arrivée en janvier 1998. Par la suite, je suis revenu plusieurs fois au festival Désir... désirs pour y présenter la plupart de mes longs métrages. Je me souviens notamment d’une projection mémorable en janvier 2002 de mon film Mes parents qui avait fait dire à Abdellah Taïa dans les Carnets des Studio : « Un film-choc. Rémi Lange pastiche les films d'horreur pour notre plus grand plaisir. C'est terrifiant et drôle à la fois. On est en permanence de l'autre côté de la raison, dans un monde fou qui a ses propres lois (...). La très forte présence physique des acteurs (Annie Alba, Antoine Parlebas) y est pour beaucoup dans la réussite de ce film. Notre coup de cœur. A ne rater sous aucun prétexte." Je n’ai jamais oublié mes ami.e.s tourangeaux.gelles (que j’ai immortalisé dans mes films tournés à Tours : Omelette, Les anges dans nos campagnes, Les yeux brouillés, Le super 8 n'est pas mort il bande encore), mes collègues des cinémas Studio, les personnes bénévoles qui ont œuvré pour ce festival Désir…. Désirs. La disparition de certaines figures, comme celle de Solange Calmejane le 28 décembre 2020, me pince le cœur, mais cette nostalgie douloureuse est vite balayée par la joie de voir que la flamme militante brille toujours avec la nouvelle équipe du festival, envers et contre tout, honorant par là-même la mémoire de ceux et celles qui ne sont plus là.
[i] Seul café ouvertement gay de Tours
[ii] Jonas Mekas est un écrivain et réalisateur de nationalité lituanienne et américaine. Figure du cinéma underground, il est aussi critique et enseignant de cinéma. Il a popularisé le journal filmé.
[iii] A travers une œuvre protéiforme marquée aussi bien par la Nouvelle vague, la comédie musicale et une grande part d’autobiographie, Joseph Morder a abordé tous les types de récit et tous les genres de cinéma. La singularité de son regard sur la perte de la mémoire, de la judéité ou de l’enfance a été remarquée par de grands festivals. Joseph Morder a signé de nombreux films, sous forme de courts et longs métrages, de documentaires ou de journaux intimes filmés
[iv] Hervé Guibert est un journaliste, romancier et photographe. Après quelques faux pas vers la carrière de comédien, qui lui font rencontrer Patrice Chéreau - plus tard, il écrira avec lui le scénario de L'Homme blessé - à 21 ans, il intègre la rédaction du Monde, critique à la rubrique photographie pendant huit ans. Homosexuel, atteint du sida, suicidé à 36 ans, Hervé Guibert a placé la maladie au cœur de son œuvre.
[v] Les Cinémas Studio sont composés de deux associations : Technique Éducation Culture et le Cinéma National Populaire (CNP). Le CNP a pour objet l’organisation de débat souvent politique au sein des Cinémas.
[vi] "Jeune homme qui, avant son incorporation, se déclare, en raison de ses convictions religieuses ou philosophiques, opposé en toutes circonstances à l'usage personnel des armes. " Définition du Larousse. Au lieu de faire son service militaire en un an, on devait œuvrer pendant 20 mois pour un service civil relevant d'une administration de l'État ou des collectivités locales, ou dans un organisme à vocation sociale ou humanitaire assurant une mission d'intérêt général. Les Cinémas Studio ont accueilli de nombreux objecteurs de conscience, dont Rémi Lange et Emmanuel Régniez.
[vii] "Je vous rappelle qu’un sidaïque hospitalisé coûte entre 500 000 et un million de francs par an et que le nombre de ceux-ci double tous les huit mois (…) dans les conditions actuelles, il y a rupture très grave de l’équilibre de la Sécurité sociale", explique Jean-Marie Le Pen, de passage à l’émission politique "L’Heure de Vérité", le 6 mai 1987. Et d’ajouter : "Le sidaïque est contagieux par sa transpiration, ses larmes, sa salive, son contact. C’est une espèce de lépreux" Suivant les conseils du docteur Bachelot, Jean-Marie Le Pen demande la création de "sidatoriums".
[viii] Dès 1973, Lionel Soukaz commence à filmer en super 8, et réalise des courts-métrages underground consacrés à l’homosexualité, encore taboue, dans la lignée révolutionnaire du FHAR, ainsi qu’à la pornographie (Ixe) ou à la critique sociale (I Live in a Bush World). Ses films prennent souvent la forme du journal filmé.
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